La convocation de l’assemblée générale en cas de carence ou de refus des organes habilités

02/07/2018

Par Catherine Stracchi et Guillaume Dolidon

La convocation est aux droits politiques des associés ce que le quorum est à l’assemblée générale : indispensable. Le droit de participer aux décisions collectives, consacré par l’article 1844 alinéa 1er du Code civil, ne peut jamais être limité par les statuts. Cependant, et en dépit de son caractère absolu, ce droit n’a de sens qu’autant qu’une assemblée générale est effectivement convoquée.

L’assemblée générale est l’instance démocratique de la société. Dans les sociétés par actions simplifiées, les associés sont entièrement libres de fixer les règles de convocation qu’ils souhaitent. En l’absence de précision dans les statuts, il incombe au président de procéder à la convocation. C’est en effet le dirigeant qui est compétent pour convoquer l’assemblée générale dans les sociétés commerciales : le conseil d’administration ou, le cas échéant, le directoire dans les sociétés anonymes (C. com, art L. 225-103, I) et le gérant dans les sociétés à responsabilité limitée (C. com, art L. 223-27, al.2). Or, il arrive que les organes dirigeants se montrent négligents voire réticents à procéder à la convocation. La difficulté se présente le plus fréquemment en cas de conflit entre les associés et les dirigeants : on peut aisément comprendre que ces derniers n’aient aucune envie de réunir une assemblée dont ils pressentent qu’elle attirera les ires des associés. De plus, les cas légaux dans lesquels les associés d’une société à responsabilité limitée ou les actionnaires d’une société anonyme sont autorisés à procéder eux-mêmes à la convocation de l’assemblée sont limités. Comment peuvent-ils alors pallier la carence des mandataires sociaux ?

Cette question est cruciale car elle conditionne l’exercice de droits essentiels à la qualité d’associé : le droit de participer aux décisions collectives et le droit de vote. Afin de préserver ces prérogatives, le législateur a prévu des alternatives à la compétence de principe des organes de gestion. Il existe des moyens juridiques, judiciaires et contractuels qui permettent de faire face au défaut de convocation de l’assemblée générale.

Une solution juridique : la compétence subsidiaire du commissaire aux comptes

Dans les sociétés anonymes et dans les sociétés à responsabilité limitée qui en sont dotées, le commissaire aux comptes est compétent, à titre subsidiaire, pour convoquer l’assemblée générale. Cette convocation est subordonnée à la condition d’avoir requis au préalable et en vain la convocation de l’assemblée par le dirigeant habilité. Si l’article L. 223-27 du Code de commerce est muet sur ce point, il paraît prudent de mettre au préalable en demeure le gérant par lettre recommandée, à l’instar de ce qui est requis pour les sociétés anonymes (C. com., R. 225-161, al. 1er). Il s’agit ici d’une solution directe à la carence des organes dirigeants.

Il convient également de rappeler que, dans les sociétés commerciales, le commissaire aux comptes a la faculté, lorsque des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de la société sont portés à sa connaissance, d’inviter les organes de gestion à délibérer sur ces faits. De nouveau, si ces derniers ne réagissent pas, le commissaire aux comptes doit procéder lui-même à la convocation. Il s’agit d’une procédure d’alerte et non d’un moyen de pallier la carence des organes dirigeants, mais elle peut tout à fait trouver à s’appliquer lors d’un conflit important entre associés et organes de gestion.

Une entière liberté est laissée aux associés d’une société par actions simplifiée pour fixer les règles de convocation qu’ils souhaitent.

Les statuts peuvent donc accorder une compétence subsidiaire au commissaire aux comptes, si la société en est dotée.

Lorsque le recours au commissaire aux comptes ne se révèle pas suffisant pour assurer l’exercice des droits des associés, le législateur offre à ces derniers la possibilité de demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée générale.

Une solution judiciaire : la désignation d’un mandataire en justice

À l’instar de la convocation de l’assemblée générale par le commissaire aux comptes, la demande de désignation d’un mandataire doit faire suite à la carence des organes normalement habilités. Elle est effectuée auprès du président du tribunal de commerce du lieu du siège social de la société, statuant en référé.

Dans les sociétés anonymes, cette faculté est offerte à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social ou 5 % des actions de la catégorie intéressée s’il s’agit d’une assemblée spéciale (C. com., art. L. 225-103, II-2°).

Le régime est plus souple dans la société à responsabilité limitée, car tout associé, sans condition de détention de capital, peut formuler cette demande (C. com., art. L. 223-27, al. 7). Bien que le texte ne le précise pas, les tribunaux subordonnent cette faculté à la carence du gérant.

Encore une fois, les associés d’une société par actions simplifiée sont libres de déterminer, dans les statuts, les règles qu’ils souhaitent. Ainsi, ils peuvent prévoir la désignation d’un mandataire en justice, ou l’omettre.

Les conditions de recevabilité de cette demande n’étant pas précisées par les textes, les principes sont de source jurisprudentielle : il est ainsi communément admis que le juge devra vérifier que la demande poursuit effectivement des fins légitimes conformes à l’intérêt social et non le service des intérêts propres des demandeurs, qu’il s’agisse d’une société anonyme ou d’une société à responsabilité limitée. En revanche, la demande de désignation d’un mandataire n’est soumise à aucun caractère d’urgence, ni à l’existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société.

Tant cette procédure que le recours au commissaire aux comptes imposent la démonstration préalable, par l’envoi d’une lettre recommandée, de la carence des organes dirigeants. De plus, aller devant le juge prend toujours un certain temps et représente un coût. Si ces moyens permettent effectivement d’aboutir à la convocation de l’assemblée, il est logique de se demander s’ils constituent une solution optimale : pourquoi ne pas confier le soin de convoquer l’assemblée générale aux premiers intéressés, les associés ?

Une solution exceptionnelle : la compétence des associés

Si l’on met à part la société par actions simplifiée dans laquelle les associés sont libres de mettre en place les règles de convocation qu’ils souhaitent – et ainsi de s’octroyer le droit de convoquer une assemblée générale –, force est de constater que rares sont les cas où ils sont autorisés à procéder eux-mêmes à la convocation.

Dans la société anonyme, les actionnaires, qu’ils soient seuls ou en groupe, n’ont ni la possibilité de convoquer directement l’assemblée, ni celle d’en demander la convocation à l’organe habilité. Il n’est d’ailleurs pas possible de stipuler qu’en cas de carence de ce dernier, la convocation sera faite par un ou plusieurs actionnaires.

Il n’existe en réalité, dans la société anonyme, qu’une seule hypothèse de convocation de l’assemblée générale par les actionnaires : l’article L. 225-10, II-4° du Code de commerce ouvre aux actionnaires devenus majoritaires, à la suite d’une offre publique d’achat ou d’échange ou d’une cession de contrôle, la possibilité de convoquer l’assemblée. Il s’agit en fait de permettre à ces actionnaires d’évincer rapidement les dirigeants sociaux et de les remplacer. Ce cas est de portée limitée car le remplacement des dirigeants est très souvent une condition de réalisation de l’opération. En tout état de cause, il ne permet pas de pallier la carence des organes habilités.

Le régime est légèrement plus avantageux dans les sociétés à responsabilité limitée. En dehors du cas du décès du gérant unique, qui permet à tout associé de convoquer une assemblée en vue de la désignation du nouveau dirigeant, l’article L. 223-27 du Code de commerce autorise un ou plusieurs associés détenant la moitié des parts sociales à demander la réunion de l’assemblée. Cette faculté est également accordée aux associés détenant au moins le dixième des parts sociales, à condition qu’ils représentent au moins le dixième des associés.

Il ne s’agit cependant pas d’un droit de convoquer l’assemblée générale directement, mais d’en requérir la convocation auprès du gérant et, le cas échéant, du commissaire aux comptes. Il est important de souligner qu’il ne s’agit ici que de simples invitations à convoquer une assemblée générale. En effet, ni le commissaire aux comptes ni le dirigeant n’encourent de sanction en cas de refus.

Une question demeure toutefois en suspens : est-il possible de prévoir, dans les statuts, une faculté de convocation par les associés en cas de carence du gérant ? Le sixième alinéa de l’article L. 223-27 du Code de commerce répute non écrite toute clause qui serait contraire aux règles précédemment exposées : faut-il y voir l’interdiction d’une clause de ce type ? La solution n’est pas clairement tranchée par la jurisprudence. En effet, seul un arrêt de 1974 (Cass. Com, 4 mars 1974) semble avoir implicitement admis cette possibilité en reprochant à des associés de ne pas avoir respecté le formalisme requis par leur clause statutaire pour la convocation de l’assemblée générale, mais sans se prononcer directement sur la validité de la stipulation.

Il convient cependant de rappeler que la réunion spontanée est toujours possible dans les sociétés à responsabilité limitée : en effet, la nullité d’une assemblée contrevenant aux règles de convocation exposées précédemment n’est jamais encourue si les associés étaient tous présents ou représentés (C. com., art. L. 223-27, al. 8).

Une solution contractuelle : la constitution d’une société par actions simplifiée

À la lumière des règles exposées précédemment, force est de constater que la société par actions simplifiée s’impose, par la liberté statutaire qu’elle confère à ses associés, comme le meilleur moyen de se prémunir contre la carence des organes habilités à convoquer l’assemblée générale.

Les dispositions relatives à la convocation de l’assemblée générale de la société anonyme ne sont en effet pas applicables à la société par actions simplifiée (C. com., art. L. 227-1, al. 3).

Les associés sont donc entièrement libres de prévoir, dans les statuts, les règles de convocation qu’ils souhaitent. Aux côtés du dirigeant, il est donc possible de prévoir que les associés ont la faculté de convoquer une assemblée. La société par actions simplifiée se révèle être l’arme absolue en cas de refus ou de simple négligence des mandataires sociaux : nul besoin de faire appel au commissaire aux comptes ou au juge, les associés peuvent convoquer. Il en résulte une protection plus efficace de leurs droits et une plus grande simplicité procédurale.

Ainsi, si le législateur a entendu garantir l’exercice des droits politiques des actionnaires de sociétés anonymes et des associés de sociétés à responsabilité limitée par des mécanismes de nature diverse. Il est toutefois légitime de s’interroger sur leur opportunité et de constater que la constitution d’une société par actions simplifiée se révèle la solution la plus efficace face à la carence des organes dirigeants.